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Festival-Ecoféministe-Berlin
Festival Ecoféministe-Berlin-Atelier écriture

Dans le cadre du festival écoféministe ‘Seeding Freedom‘ qui s’est tenu à Berlin le 4 septembre, et dont La Mèche était partenaire, les participant·e·s de l’atelier d’écriture dirigé par Hélène Coron nous ont fait l’honneur de partager avec nous leurs textes, écrits avec talent et émotion, sur le thème de la ‘Poétique de la Terre’.

Plonger ses mains dans la terre, explorer sa matière. Laisser nos mots s’enraciner, s’accrocher, plonger vers le sombre pour éclore vers le monde. Si la terre était un poème, quels seraient ses vers ? Les participant·e·s ont été accompagné·e·s, par un procédé d’écriture créative, instinctive et collaborative, à travers un voyage poétique dans le ventre du monde. Nous vous laissons découvrir le résultat.

Et pour nos lecteur·ice·s qui souhaiteraient tenter l’exercice, vous trouverez le contenu de l’atelier d’écriture en bas de cette page. 


Festival Ecoféministe-Atelier-Ecriture

Cécilia : J’aime les balades en forêts, partir à l’aventure, et tenter de nouvelles expériences, comme cet atelier d’écriture en adéquation avec mes valeurs écoféministes.

« Les mains dans la terre, je m’enfonce, on m’absorbe, Elle m’absorbe.
Je coule, je glisse, je ne lutte pas, je la laisse m’emporter.
Les limites entre elle et moi s’estompent, je coule, je brûle, je m’efface. Elle dérègle mes formes. Elle m’étire, elle m’amenuise, elle m’avale, elle me repousse.
Je suis argile dans les mains d’une géante.
Sa puissance ardente n’a ni but ni volonté.
Abandon, plénitude, oubli, néant.
Je suis elle, elle est moi, nous sommes un tout.
Je suis un gravillon dans une immensité. »


Julia : Berlinoise de cœur, je travaille pour développer une mobilité plus douce, de celle qui préserve la nature.

« Soleil ardent qui irrigue la terre
De ses rayons les plus timides
Le mouvement infini des particules solaires
Vient caresser le monde invisible
Vivante, immense est la terre qui nous nourrit
Celle dans laquelle je puise ma source
Lorsque mes mains se plongent dans ses replis
Et que mes yeux observent
Les inséparables vers
Qui tourbillonnent et se délectent
De ces millions d’années
Qui se trouvent sous nos pieds »


Nina, Mamue et Plum ont réalisé ‘Ce monde n’est pas fait pour nous’, un documentaire choral sur le mouvement écoféministe tel qu’il est incarné aujourd’hui au sein du collectif Voix Déterres.

« Ici, je cherche à te comprendre
Mais j’ai peur de ne pas parler la langue
Les saxifrages veulent-elles de moi ?
Je peux te tutoyer ?
J’ai comme l’impression que l’on se connaît
Mais tes roches n’ont pas mon âge
Vous devez bien rire de moi Est-ce que vous vous parlez ?
Chaque pierre a son langage que je ne comprends pas
Sous elles les racines trouvent-elles un chemin ?
Ce qu’il y avait avant, celleux qui fleurissaient, pleuraient, dansaient Celleux-là, ces lieux là
Te manquent-iels ?
Je m’agrippe à ces lieux qui restent, à celleux qui, à ce
Je brûle, je me consume
Ça t’est égal
Si jamais j’essaye
Je plaque mon oreille contre ta terre humide
Dans l’espoir, d’entendre la chélidoine s’enraciner
Je m’arrête de peur d’être trop rapide pour te voir
Pour sentir tes vibrations
Même immobile, ce n’est pas assez
Un gravillon tombe sur un pissenlit
Oh Pardon Chaque pierre a son langage
Ici, à tâtons, des milliers de fourmis
Elles chuchotent sous les roches
Comme pour ne pas me laisser entendre leurs secrets les plus intimes
Est-ce qu’elles te chatouillent ? tu dois leur sembler immense
Aimes-tu la pluie qui coule sur tes entrailles ?
Tu sens l’humidité
Ça fait ton charme Je me demande quelle taille tu fais
Si tu t’entends avec tes voisins
Si tu as peur J’aimerais te rassurer
Mais moi aussi j’ai peur
Et peut-être que tu n’as pas peur, peut-être que tu ne comprends pas
Ou alors si
Tu comprends trop bien justement
Tes artères vibrantes
L’eau coule sur tes pierres »

Nina

« Quand je mets les mains dans la terre… J’en ai sous les ongles. Doigts secs, bouts sombres, ça me gêne, ça s’infiltre. Besoin de l’eau pour m’en séparer, me retrouver.
Et si j’acceptais d’être infiltrée ? De devenir autre, d’être inséparable et in-séparée, de m’agripper à elle comme elle s’agrippe à moi, en se gravant lentement dans mes empreintes digitales ?
Si j’acceptais que la terre me craquèle ? M’assèche ? M’assombrisse ?
Peut-être alors que je pourrais permettre à la lumière et à l’eau de faire fleurir mes bourgeons en devenir.  »

Mamue

« La gorgée d’eau glisse de ma gourde, elle touche mes lèvres.
Quelques gouttes tombent sur l’herbe encore verte, humidifie la mousse bien cachée.
Elle est un peu sucrée, elle a le goût de fer, elle se mélange à ma salive.
Elle se glisse dans la terre sèche qui gonfle légèrement à son contact.
La fraîcheur dans ma gorge fait descendre la température de mon corps immédiatement.
Le soleil a déjà évaporé les gouttes qui ne se sont pas infiltrées.
La terre est maintenant plus compacte. Un vers de terre se faufile entre les grains et les cailloux pour atteindre la terre humide.
La seconde gorgée que j’avale est peu plus chaude.
L’eau atteint une racine ancrée très profondément dans le sol. Elle aussi boit, ressent sa fraîcheur éphémère.
J’ai très soif. Elle me sauve.
Trois pierres bougent à son contact. Elles grincent. Chaque pierre à son langage.
Nu-e en chien de fusil, je suis minuscule, enveloppé-e de terres, roches, racines et vers de terre. La frontière de mon corps n’existe plus.
La terre aussi a très soif.
Terre en colère, terre épuisée, terre vivante.  »

Plum, militant-e écoféministe

Festival Ecoféministe-Atelier-Ecriture-Seeding Freedom

Fanny Steyer est journaliste et membre de l’association écoféministe Positive Lab à Berlin. À ses heures perdues, elle essaie de lire ou d’écouter des podcasts, mais la plupart du temps elle se retrouve à observer les gens autour d’elle et à noter ce qu’ils disent (c’est bien plus fascinant).

« Quand je mets les mains dans la terre, je ressens une certaine puissance. Un sentiment d’enracinement m’envahit. La terre se décompose et ce texte aussi. 

Terre 

terreau 

je sens la terre glisser entre mes doigts. La terre en colère s’incruste sous mes ongles.

Et si je laissais la douceur et le calme de cette terre m’habiter complètement ? Si je laissais les yeux fermés et reniflais cette terre? Ça sent la grotte calme 

le ruisseau de montagne 

le feu qui crépite.  

Cette terre m’habite. Et pourtant je suis citadine mais régulièrement j’ai besoin de me reconnecter à elle. De sentir les racines magiques sous mes pieds. De lever la tête et de ne voir que des arbres et le ciel. 

Je me suis toujours dit que crier à pleins poumons dans une forêt vide devait être jouissif.

Extraire ma colère, ma frustration, extraire la pression, me libérer en criant et en enlaçant un arbre.

Sentir l’écorce verte de cet arbre sous mes doigts. Caresser cette écorce. L’arbre est millénaire et parle d’une voix douce mais grave à la fois. Que me dit-il ? Le bruit de la ville m’empêche encore de l’entendre. 

En fait il faudrait que je fasse un bain de nature régulièrement histoire de respirer. La ville peut rendre fou, la solitude aussi. La nature ne ment pas et j’aime cette clarté. »


Christian : Un polyglotte pas très littéraire perdu dans un atelier d’écriture.

« Quand je mets les mains dans la terre…

Il fait noir, je ne sens plus rien. Je suis perdu… Suis-je perdu ?

Cet endroit serait-il le début, le démarrage de tout ? Ou plutôt la fin?
La curiosité me surprend, il n’y a pas de marche arrière, je m’y aventure, attiré par l’obscurité – je veux m’y perdre, m’y approfondir et découvrir.

Je me dirige vers la droite… où est-ce vers le bas ? Je ne le sais plus – ayant perdu toute orientation, cependant je sens que c’est le bon chemin.

Il commence à faire plus chaud, plus humide, ça me rassure.

Je continue dans cette lancée et au plus que j’avance au mieux je m’y retrouve.

C’est un labyrinthe dans lequel il ne semble pas y avoir de sortie – pas de sortie singulière – il y en a un infinité – je le sais, et pourtant je suis loin de toute issue pour le moment. Le chemin tiède et humide s’est arrêté, je suis à présent dans un champ de roches, j’en soulève une, lentement, juste pour me faire aussitôt surprendre par une autre qui me bloque la route, je dois faire un détour.

Soudainement, d’autres pierres bougent, serait-ce allé trop loin ?

Un tremblement, léger certes, mais toutefois dirigé contre moi – je dois m’évader, me sauver. Je respire profondément, les odeurs épicées autour de moi me donnant le vertige, je ferme les yeux et me lance… je saute, sans savoir vers où, quand le froid me surprend, me réveille – la puissance du courant m’emporte vers une nouvelle dimension. L’eau si précieuse, protectrice, m’aura sauvé, sans que je le lui ai demandé, elle est toujours là, en abondance pour me faire voyager, pour me nourrir, me laver, me soigner. 

Je parcours ce nouveau monde et pourtant je suis encore dans le même labyrinthe.

Il fait toujours aussi noir pourtant perçois autour de moi plus de mouvement, des racines me chatouillent, des êtres inconnus m’accompagnent, me demandant de les accompagner.

Nous nous agrippons à une rame et la suivons pour changer d’altitude.

Tout ce monde est nouveau, mystérieux et pourtant me berce, commençant à me sembler familier.

J’y retrouve tout ce qu’il me faut. Ce labyrinthe est un cercle, une multitude de chemins uniques, de sorties isolées et pourtant je me demande pourquoi vouloir en sortir ? J’y retrouve l’équilibre qui me faut, l’épanouissement, la sérénité, le chaud, le froid, la stabilité – je reste ici…  »

Festival Ecoféministe-Atelier-Ecriture-Seeding Freedom-Poésie

Si ces textes vous ont inspirés, nous vous invitons à reproduire l’exercice chez vous, seul·e ou à plusieurs, grâce au contenu de l’atelier de Hélène Coron, qui vous guidera dans cette démarche :

Le capitalisme nous a dépossédé du savoir ancestral de la terre, comment la soigner, la rendre fertile, la nourrir pour qu’elle nous alimente à son tour. L’urbanisation et l’industrialisation ont remplacé ce lien séculaire par une relation mortifère avec le vivant. Les agriculteur·ice·s, celle·eux qui sont à la base de notre subsistance, sont plus que jamais précarisé·e·s, marginalisé·e·s : 529 suicides sont à dénombrer en 2016 parmi les 1,6 million d’assurés du régime agricole âgés d’au moins 15 ans.

Aujourd’hui, je vous invite à creuser, (dé)composer, explorer, visiter, pour se réapproprier notre rapport à la terre, par un outil créatif et magique : la poésie.


1. Déverrouiller l’écriture, libérer la créativité, par un procédé d’écriture automatique.
Démarche : visionner une par une 5 images en rapport avec la terre, grottes, souterrains, boue, roches et autres minéraux et habitants du sous-sol. Ecouter une par une 2 sonorités minérales et souterraines. Face à chaque support, écrire pendant 1 minute, sans s’arrêter, sans lever le stylo, quelque soit les mots, les phrases, les syllabes qui apparaissent sur le papier : ces textes n’ont pas pour mission d’être lus ou partagés. 

 


2. S’inspirer, par l’écoute du poème de la militante queer Susanne Saxe : Une question stupide (écrit en réponse à l’agent du FBI à la recherche d’une sœur, qui lui demanda qui fait partie de son réseau) : 


Qui fait partie de mon réseau,

qu’est ce qui nous lie, précisément? 

Autant chercher à comprendre la force

qui pousse le cours d’eau à travers la roche

qui relie les semblables

et fait s’attirer les contraires

Qui guide le lombric sous la terre,

et rend les fourmis aussi têtues et obstinées?

Quand le vent et la pluie érodent le sol,

qui pousse la racine à résister ?

Et quelle main invisible a inscrit son message codé dans la graine? 

Qui dirige la toile de l’araignée, 

et organise la stratégie de la mauvaise herbe?

Quelle imagination a pu inventer 

l’infrastructure de la vigne,

la révolte de l’herbe contre le ciment,

la rébellion du pissenlit ?

Quelle force ébranle les murs

jusqu’à les fissurer,

ou fait repousser les branches des arbres 

lorsqu’elles ont été coupées ?

Qui dissimule les passages entre la mort et la naissance?

Qui mène la révolution de la terre?

Qui fait partie de mon réseau,

qu’est ce qui nous lie, précisément? 

Autant chercher à comprendre la force

qui pousse le cours d’eau à travers la roche

qui relie les semblables

et fait s’attirer les contraires

Enquêtez sur les marguerites qui envahissent les pelouses,

ou sur le lierre qui pénètre partout où il le désire.

Accusez le ciel d’avoir fait tomber la pluie,

et contribué au débordement de la rivière.

Arrêtez la mouette pour vol illégal

décrétez une frontière pour enfermer la mer,

demandez à une montagne de modifier son altitude,

essayez d’empêcher une femme libre de s’exprimer.


3. Collecter les mots et groupes de mots qui, à la lumière de ce poème, clignotent désormais dans vos fragments d’écriture automatique


4. Partager les fragments, les écrire sur des post-it au centre du groupe afin que chaque personne puisse en noter 3, qui ne lui appartiennent pas.


5. S’inspirer de l’expérience d’écriture souterraine de Louise Warren, extraite de son recueil ‘Interroger l’intensité’.


5. Proposition d’écriture :  écrire en plongeant les mains dans la terre, en plantant ses doigts comme pénètrent les racines, avancer dans le noir, guidé par le processus infini de dégradation et transformation du vivant, écrire depuis une grotte, un jardin, un souterrain, laisser la terre et sa matière envahir notre texte, qu’est ce que ses ruissellements, ses lignes, son érosion, ont à nous raconter, à nous enseigner ? 


partagez avec nous vos créations à l’adresse hello@lameche.net, nous lirons vos textes avec plaisir et les publierons à la suite de cet article.

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