Rejoindre la mèche
L’engagement est au coeur de leur activité. Ces femmes et ces hommes s’inspirent du monde pour agir autrement et durablement, et faire de leur environnement une voie d’expression, de créativité, d’innovation ou encore de solidarité. Finance, culture, artisanat, industrie ou médias sont autant de domaines incarnés par ces personnalités, qui ont accepté de se prêter au jeu du questionnaire de Proust en mode La Mèche. Quels sont leurs secrets durables? Pour vous, ils vendent la mèche.

Réalisation: Cornland Studio

Boris Wastiau, directeur du MEG depuis 2009, a eu pour mission de faire aboutir le projet du nouveau musée, qui a rouvert ses portes au public le 31 octobre 2014, ainsi que de réorienter et repositionner l’institution, qui a obtenu le European Museum of the Year Award en 2017. Il met aujourd’hui en œuvre une nouvelle stratégie muséologique décoloniale.
Il a été chargé de cours, puis professeur titulaire, dans l’Unité histoire et anthropologie des religions de l’UNIGE, de 2009 à 2019. Auparavant, il a travaillé 11 ans comme conservateur au Musée royal de l’Afrique Centrale (Belgique). Après avoir étudié l’anthropologie à l’Université libre de Bruxelles et à l’Université de Coïmbre, il présente en 1997 à l’Université de East Anglia une thèse de doctorat en anthropologie de l’art consacrée aux cultes de possession. Tout au long de ses études et de sa carrière professionnelle, Boris Wastiau effectue de nombreuses missions de recherche sur le terrain, tant en Afrique qu’en Amérique latine. Spécialiste des cultures et religions d’Afrique centrale et de la muséologie critique, il travaille également sur la provenance des collections africaines, le trafic illicite et les questions de restitution.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages et expositions: ExltCongoMuseum (2000), Mahamba (2000), Chokwe (2006), Médusa en Arique (2008), Afrique Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt (2016), Afrique. Les religions de l’extase(2018).

Transcription

Qui êtes vous et que faites-vous dans la vie?
Je suis Boris Wastiau, directeur du MEG, le musée d’ethnographie de la ville de Genève depuis 2009.
Quel est votre état d’esprit actuel? 
Un peu inquiet de la sortie du Covid et de ce qu’on a appelé pendant un certain temps le monde d’après, parce qu’aujourd’hui les perspectives c’est un peu le retour à la normale alors qu’en fait il y a beaucoup à faire. Il me semble qu’on a beaucoup oublié les causes premières de cette pandémie et qu’on s’attache surtout à régler les conséquences mais qu’on a un peu oublié de réfléchir aux fondamentaux.
Quel est votre principal trait de caractère?
L’exigence peut-être. 
Etre écolo aujourd’hui ça veut dire quoi?
Etre écolo aujourd’hui je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire mais je me réjouis de voir que l’écologie est de plus en plus une question qui traverse l’ensemble des partis politiques et de la population et plus seulement une certaine partie de la population. Donc c’est le côté mainstream de la la réflexion sur l’écologie qui me réjouit aujourd’hui. 
Comment est venu votre désir d’engagement, quel a été le déclic et comment est ce que vous le décririez? 
Par rapport à l’écologie c’est effectivement le fait qu’on en parle, tout le monde s’engage, il y a plein de choses qui se font, il y a plein de projets. On parle de plus en plus d’urgence climatique et environnementale et en tant que musée, en tant qu’institution publique, nous savons que nous avons quelque chose à apporter et à faire. Il nous a semblé important quand nous avons préparé notre plan stratégique en 2019 de vraiment inscrire la question de la durabilité comme l’un des cinq axes stratégiques les plus importants, avec même la prétention ou l’engagement de devenir un musée de référence en termes de développement durable. Depuis j’ai appris que parler de développement durable c’est un peu antinomique et qu’on devrait parler plutôt de durabilité car le développement perpétuel est-il compatible avec quelque chose de vraiment durable? Nous nous sommes vraiment mis au défi nous-mêmes dans toutes nos pratiques d’intégrer la dimension de la durabilité.
Comment cette dimension de durabilité se manifeste-t-elle au quotidien, par exemple dans ce musée et dans ce rapport aux collections?
Dans son rapport aux collections ça peut être toute sorte de choses, un souci particulier pour les produits d’entretien, de conservation ou de restauration, ça peut être un souci particulier pour les matériaux de conditionnement. Par exemple nous avons déménagé il y a deux ans les collections d’un dépôt à un autre et nous on avons fait des choix tout à fait durables, sans plastique, sans polystyrène extrudé pour avoir une approche qui soit plus respectueuse de l’environnement. Ensuite dans notre projet on a vraiment un programme stratégique, l’idée étant que dans tous les grands projets il y ait une dimension de durabilité. C’est notamment au niveau des expositions qui représentent probablement l’empreinte carbone la plus importante au musée parce qu’elles nécessitent beaucoup de scénographie, beaucoup de matériaux. Nous nous sommes engagés à réduire énormément et pour la prochaine exposition nous avons déjà défini des contraintes de durabilité aux scénographes. Des contraintes de réemploi, de réutilisation, de pré-emploi et aussi de matériaux, qui vont être utilisés pour la première fois et ensuite utilisés à autre chose.
Nous travaillons aussi au niveau des thématiques. Ainsi la prochaine grande exposition qui ouvrira en septembre s’intitule « Injustice environnementale – Alternatives autochtones » et elle est entièrement consacrée au point de vue de peuples autochtones sur l’impact des changements envir+onnementaux sur leur population et en particulier sur les injustices que cela génère.
Ensuite il y a une diversité de petits projets qui visent à changer la culture de travail, à aller vers un management écoresponsable au sein du musée. Il y a différents groupes qui travaillent et qui d’année en année vont aborder différentes problématiques: le recyclage, la question du numérique et de la durabilité, les écogestes… Nous avons aussi plusieurs programmes, y compris dans cette bibliothèque où nous nous trouvons, de rencontres autour des questions de durabilité. 
Comment cet engagement durable se manifeste-t-il dans votre vie personnelle?
Dans ma vie personnelle la question que je me pose c’est comment effectivement prendre un engagement qui soit aussi fort et aussi cohérent par rapport à celui que je veux prendre au niveau de l’institution. Ce sont des réflexions sur les moyens de transport, l’idée d’abandonner la voiture et de passer à l’abonnement général, éviter au maximum l’avion. Et il ne faut pas que ça reste des voeux pieux donc il y a un moment où il faut se lancer. C’est aussi au niveau de la consommation et c’est clair qu’une grande partie de l’empreinte carbone c’est de la consommation donc personnellement je pense que l’une des voix c’est vraiment une économie de la frugalité, il faut consommer beaucoup moins et plus durable. Ca ne veut pas dire qu’on doit s’asseoir par terre mais nous devons faire des choix qui sont davantage raisonnés sur des produits qui ont beaucoup plus de durabilité. Et aussi bien entendu les circuits courts, je le fais personnellement: privilégier l’approvisionnement notamment de nourriture, qui est le plus local possible et éviter, et la pandémie nous l’a rappelé, tous ces produits extrêmement exotiques qui sont produits aux antipodes, tout simplement parce qu’on aime les consommer  ici à Genève.
Quels sont les plus grands enjeux auxquels vous êtes confrontés? 
Si la question est placé au sein du musée c’est que chacun et chacune se sente responsable, que chacun et chacune comprenne qu’il ou elle peut avoir un impact à travers un changement de pratiques dans son travail et collectivement aussi dans la manière d’entrevoir les projets. Nous avions formulé un engagement de devenir un musée de référence en termes de développement durable et donc on peut se poser cette question:
Est-ce que le musée doit nécessairement se développer, c’est-à-dire avoir plus de moyens, mettre plus d’argent, faire plus de choses ou est-ce qu’il doit plutôt être plus pertinent et avoir plus d’impact? Ce qui ne nécessite pas forcément d’avoir plus de moyens.
Si on prend un exemple, est-ce que des personnalités comme Gandhi ou Mandela ont eu besoin de beaucoup d’argent, de ressources pour avoir un impact? Non, ce sont des gens qui ont vécu dans une extrême frugalité et qui ont pu pourtant porter des messages particuliers, en l’occurrence de paix et de démocratie, avec extrêmement peu de moyens. Donc l’idée c’est de voir si le développement ne doit pas être dans l’idée de ne pas toujours en faire plus, diffuser davantage mais au contraire de développer la pertinence avec des moyens qui sont beaucoup plus modestes.

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Racontez-moi votre plus beau souvenir de nature?
J’en ai beaucoup mais disons que le dernier qui me vient à l’esprit c’est une croisière en bateau, à l’encre la nuit aux abords de la côte toscane après un coup de vent. Il y avait des bancs énormes de milliers de méduses phosphorescentes qui flottaient au moment où nous avons jeté l’ancre. C’était un moment absolument fascinant et puis je ne sais pas si ça vous est déjà arrivé mais passer la nuit sur un bateau à l’ancre c’est une expérience de la nature qui est magnifique. Etre bercé par l’onde de la mer… 
Si vous étiez un arbre lequel seriez-vous?
Un chêne parce qu’il commence comme un tout petit gland et puis il devient très grand et très fort. Et puis on peut faire plein de choses avec le chêne, on peut construire des bateaux, il apporte de la fraîcheur et puis plein d’autres choses. J’aime beaucoup l’image de cet arbre.
Quelle capacité ou aptitude de la nature aimeriez-vous avoir?
Pouvoir voler entre les nuages comme le vent, pouvoir me dire que je suis des particules et voyager des Alpes aux antipodes.
Si vous étiez une source d’énergie laquelle seriez-vous?
Je serais clairement géothermique, je serais plutôt le volcan.
Votre saison préférée et pourquoi?
Je dirais que c’est l’été parce que c’est en été que les montagnes sont le plus accessibles et que je peux le plus en profiter. 
Votre paysage préféré?
Mon paysage préféré en revanche ça reste la mer, la ligne d’horizon sur la mer. 
Préserver la planète pour vous c’est quoi?
C’est réfléchir à notre être au monde et c’est quelque chose qui nous préoccupe et va continuer à nous préoccuper dans le programme d’expositions à venir. Ces dernières années nous avons corrigé les perspectives ethnocentriques ou eurocentriques pour avoir une perspective plus globale et plus partagée.
Aujourd’hui il faut faire l’effort d’abandonner la perspective anthropocentrique et puis essayer de se défaire, c’est le posthumanisme, de tout ce qu’on a acquis dans notre éducation et qui fait qu’en tant qu’être humain on se sent au sommet d’une montagne, maître du monde qui est à nos pieds, avec un sentiment de supériorité sur toutes les autres espèces et tout ce qui nous environne.
L’idée pour moi c’est de faire l’effort de réfléchir à ce que c’est que d’être au monde et ce que veut dire être au monde pour les autres espèces mais aussi tout l’univers qui nous entoure et de repenser notre relation à cet environnement qui est composé d’autres êtres.
Quelle pollution vous insupporte?
Beaucoup mais ce qui m’insupporte, et j’en suis encore le complice d’une certaine manière, c’est quand je me retrouve dans un bouchon sur l’autoroute. J’imagine qu’il y a non pas des milliers, non pas des millions mais des milliards de moteurs thermiques qui tournent en ce moment dans le monde. Et je me pose vraiment la question de savoir comment ça pourrait s’arrêter. 
Quelle solution pour la planète attendez-vous avec impatience?
Beaucoup mais peut-être que parmi les très nombreux enjeux qui nous concernent ce serait qu’il y ait de réelles avancées pour la protection des océans. 
Quel est le geste anti-durable que vous peinez à abandonner?
En l’occurrence celui de lâcher la voiture, et j’y pense beaucoup. 
Qu’est ce qu’on ne trouve plus du tout dans votre cuisine?
Depuis des années on ne trouve plus de micro-onde, on ne trouve pratiquement plus de plastique et depuis très longtemps en termes d’aliments il n’y a plus aucun produit exotique importé par avion.
Quel geste pour l’environnement vous fait du bien?
Ce qui me fait beaucoup de bien et que malheureusement je n’ai pas encore pu reprendre depuis quelques années, mais que je me réjouis de pouvoir peut-être faire bientôt, c’est de planter, de jardiner la terre.
Quel est votre plus grande contradiction?
Je dois en avoir beaucoup mais la plus grande c’est que le trait de caractère que je vous ai évoqué tout à l’heure est en contradiction avec la nécessité d’une approche qui soit beaucoup plus participative et qui mette en avant davantage les équipes et les initiatives d’autres personnes que les miennes.
Si vous deviez en avoir une quelle serait votre devise durable?
Cela serait quelque chose qui tournerait autour de « soyons frugaux dans notre consommation ». Ce n’est peut-être pas joli comme devise mais quelque chose autour de la frugalité.
C’en est une et elle raconte quelque chose! Quelle est votre idée, votre représentation du bonheur?
Je reviendrais sur cette notion d’être au monde et le bonheur pour moi il serait vraiment accompli quand il est à la fois un bien-être avec soi-même, avec les autres humains mais aussi avec les autres êtres qui peuplent le monde.
Donc vraiment pouvoir vivre en tant qu’individu et membres dune d’une dans un rapport harmonieux avec la nature. En somme une sorte de convivialité planétaire entre les espèces.
Et la notion de plaisir?
Une partie du plaisir que je ressens est dans l’effort accompli, qui peut être l’effort dans l’accomplissement d’une construction, d’un projet mais qui peut être plus simple aussi. J’ai beaucoup de plaisir à faire du trekking en montagne, à me rapprocher des éléments, dans le sens d’être coupé justement des relations sociales, de me retrouver et de me sentir vivre dans des éléments que souvent nous voyons un peu comme des paysages de carte postale, et de vraiment les ressentir dans son corps quand on marche très longuement.
Comment pouvons-nous selon vous agir à un niveau individuel pour faire la différence?
Il y a beaucoup de manières d’agir. La première c’est vraiment la consommation et je crois, enfin je ne crois pas je sais, que parmi les plus jeunes générations il y a une prise de conscience qui est très forte et qui va de l’intérêt sur la provenance des vêtements que l’on porte (là où ils sont fabriqués, les matériaux avec lesquels ils sont fabriqués) à la consommation alimentaire. Il y a un intérêt croissant pour l’approvisionnement de proximité, pour les produits bio. Je pense qu’il y a beaucoup de gestes individuels qui sont connus et je pense que c’est quelque chose qui est déjà bien ancré dans les plus jeunes générations.
Quelle est votre utopie?
L’utopie ce serait de pouvoir revenir en arrière de quelques siècles et de revenir à une période de  précolonisation. La colonisation du monde par l’Europe qui a vu successivement le développement des plantations esclavagistes, le développement de l’industrie du charbon, de l’acier et du chemin de fer, qui a permis de coloniser davantage. Ensuite l’extractivisme, le développement des mines qui a permis tout le développement du commerce mondial à l’avantage principalement de l’Europe et de l’Amérique du Nord et qui est la principale cause de la destruction à la fois de l’environnement et de la diversité culturelle dans le monde. Donc l’utopie ce serait de pouvoir remonter dans le temps et éviter ce processus colonial qui est à l’origine de l’essentiel de la dégradation des écosystèmes puisque cette colonisation avec ce qu’elle a apporté en termes de développement de la production et donc de la consommation, des biens de consommation mais aussi de l’alimentation et les sciences associées, ont provoqué cette explosion démographique que la terre aujourd’hui ne peut plus soutenir.
Quelles seraient les trois étapes ou les trois choses qui pourraient nous permettre de nous rapprocher de cette utopie aujourd’hui. Les actions que nous pourrions faire pour agir dans le bon sens?
Premièrement je pense que c’est la prise de conscience, une prise de conscience lucide qui ne doit pas être influencée par les détracteurs qui disent que nous allons culpabiliser les personnes. La question n’est pas de se culpabiliser c’est de prendre conscience qu’on a tous une possibilité d’agir par nos gestes, par nos paroles, par ce qu’on transmet aux autres générations, par ce qu’on échange.
Donc c’est vraiment la prise de conscience qui est la première étape, qui implique aussi une réflexion qui j’espère amènera la plupart des gens à comprendre que la principale chose, que martelait Greta Thunberg, c’est qu’il ne s’agit pas d’avis, d’opinions mais de faits scientifiques et de ce que la science nous permet de savoir aujourd’hui;  ce n’est pas une illusion c’est une réalité.
Ensuite pouvoir comprendre que, c’est un peu votre question précédente, on peut avoir un impact au niveau de son activité individuelle, au niveau de sa famille, dans le groupe social dans lequel on évolue mais aussi au travail et aussi à travers diverses formes d’engagement. Et là je vois en m’en réjouissant l’engagement des jeunes pour les marches pour le climat, la grève pour le climat, qui nous montrent que ces questions touchent vraiment cette génération et leur engagement est très important.
Et puis ensuite si on est conscient et si on s’engage, il faut concrètement pouvoir mettre des choses en oeuvre, il faut pouvoir construire les alternatives que l’on imagine tout en restant à la fois critique des solutions qui sont proposées. Essayer d’éviter d’être radical mais pouvoir évaluer et vraiment s’intéresser et consacrer du temps à cette réflexion et à l’observation de l’évolution des solutions qui se profilent et qui s’offrent à nous.
A quoi devrait ressembler la communauté idéale de demain?
La société idéale où la communauté idéale serait, dans le cadre de la conversation que nous avons aujourd’hui, celle qui aurait l’impact le moins fort en termes de pollution globalement sur son environnement. 
Merci beaucoup Boris.
Merci à vous.

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