Le rapport des employé·e·s avec le travail a considérablement évolué au fil du temps, reflétant les changements économiques, sociaux et culturels. De la révolution industrielle au développement des technologies de l’information et de la communication, en passant par les mouvements de grève et les changements dans les politiques de travail, l’histoire est riche en événements qui ont influencé la manière dont les travailleur·euse·s perçoivent leur travail et leur place dans la société.
Depuis les années 60, les raisons pour lesquelles les employé·e·s démissionnaient ont considérablement évolué en Suisse et dans la plupart des pays industrialisés.
Dans les années 60 et 70, les raisons les plus courantes étaient souvent liées à des problèmes de conditions de travail, tels que le temps de travail, la faible rémunération et les environnements de travail dangereux. Les années soixante ont été marquées par l’émergence de mouvements sociaux, tels que les mouvements de mai 68, qui ont mis en avant les droits des travailleurs et ont contribué à la création d’un cadre juridique de protection sociale.
Au cours des années 80 et 90, la croissance économique a conduit à une demande accrue de main-d’œuvre et les travailleur·euse·s ont commencé à quitter leur emploi pour chercher de meilleures opportunités de carrière.
Au tournant du millénaire, la mondialisation et la libéralisation des échanges ont eu un impact significatif sur les conditions de travail. Les entreprises ont commencé à délocaliser la production vers des pays avec une main-d’œuvre très bon marché, ce qui a entraîné une réduction de l’emploi dans les secteurs industriels et une augmentation du chômage. Les travailleur·euse·s ont commencé à subir une pression accrue pour être plus flexibles et pour travailler plus longtemps pour répondre aux exigences de la concurrence internationale. Sont alors apparues de manière plus pressante des revendications liées à la flexibilité des horaires, au travail à domicile ou encore à un meilleur équilibre entre travail et vie privée.
Plus récemment, les problèmes de santé mentale ont été identifiés comme une raison croissante pour laquelle les travailleurs démissionnent. Le stress lié au travail, la surcharge de travail et les environnements de travail toxiques ont contribué à cette tendance.
La pandémie de Covid-19 a profondément modifié le monde du travail tel que nous le connaissons et a joué un rôle de catalyseur d’une tendance de fond qui émergeait depuis déjà quelques années. Elle a d’abord commencé par engendrer une importante perte d’emploi en 2020 puis a généré une forme de prise de conscience qui a conduit à ce que nous appelons la Grande Démission, phénomène né aux Etats-Unis, qui a poussé de nombreux employé·e·s à quitter leur emploi, créant une pénurie de main d’oeuvre dans de nombreux secteurs d’activité, tels que la restauration. l’hôtellerie ou les transports.
Nous avons ensuite vu apparaître l’année dernière un phénomène qui semble s’inscrire dans la continuité de la Grande Démission selon les experts, le « Quiet Quitting » ou démission silencieuse. Il ne s’agit pas de démission à proprement parler mais plutôt d’une démission de motivation, qui consiste à faire le strict minimum dans son travail sans le quitter.
« Les gens ne se surpassent pas au travail et se contentent de répondre à la description de leur poste ».
Gallup
Si certaines personnes ont fini par démissionner pendant la pandémie, d’autres travailleur·euse·s souhaitaient peut-être voir un changement dans leur travail, mais ne l’ont finalement pas obtenu. La surcharge de travail, le manque de considération et un mauvais équilibre entre vie privée et professionnelle font partie des causes principales conduisant les salariés au quiet quitting.
Et pour les employé·e·s à qui le « quiet quitting » ne convient pas ou plus nous assistons aujourd’hui à l’émergence d’une tendance appelée « conscious quitting » ou démission consciente au sens littéral. Les collaborateur·rice·s décident de quitter leur entreprise ou organisation car il·elle·s ne se sentent plus en phase avec les valeurs de l’entreprise ou qu’il·elle·s considèrent qu’elle n’a pas un impact suffisamment positif sur la planète ou sur la société de manière générale.
Ce phénomène a été qualifié de véritable bombe à retardement par Paul Polman, l’ancien patron d’Unilever, à l’occasion de la publication des résultats d’une étude menée en début d’année aux Etats-Unis et au Royaume Uni auprès de 4’000 travailleur·euse·s.
« Tout PDG qui pense qu’il va gagner la guerre des talents en offrant un peu plus d’argent, un peu plus le travail à domicile et un abonnement à une salle de sport va être déçu. Une ère de la démission consciente est en route »
Selon lui, les entreprises qui ne se lancent pas dès aujourd’hui dans une véritable démarche de « responsabilité environnementale et sociale » ne « parviendront pas à rattraper leur retard »
Que nous dit ce BAROMèTRE?
Le message en substance c’est qu’une très grande majorité des stratégies de recrutement et de rétention de talents passent à côté d’une vision plus large de la question. Si une meilleure rémunération, une plus grande flexibilité et un plus grand bien-être restent au coeur des revendications des employé·e·s, elles omettent leur dimension d’êtres humains, parmi lesquels un grand nombre ressent un besoin de sens et d’épanouissement. Dans les temps très troublés que nous vivons avec des guerres, des pandémies, le réchauffement climatique, un climat social tendu, nombreux sont celleux, en particulier parmi les jeunes, qui ont de réelles craintes quand à l’avenir du monde dont ils vont hériter. « A quoi bon perdre son temps à travailler dans une entreprise qui ne m’intéresse pas? »
Quelques chiffres:
- 2 employé·e·s sur 3 au Royaume-Uni et 3 employé·e·s sur 4 aux Etats-Unis veulent travailler pour une entreprise qui a un impact positif sur le monde.
- Aux États-Unis et au Royaume-Uni, près de deux tiers des salarié·e·s estiment que les efforts déployés par les entreprises pour relever les défis environnementaux et sociétaux ne vont pas assez loin. Nombreux·euses sont ceux qui pensent que le PDG et les cadres supérieurs s’en moquent.
- Près de la moitié des salarié·e·s déclarent qu’ils envisageraient de démissionner si les valeurs de l’entreprise ne s’alignent pas sur les leurs, même dans le contexte économique actuel difficile.
- Un tiers des salarié·e·s déclarent avoir déjà démissionné pour cette raison.
En Suisse
- 15% des salarié·e·s envisagent de quitter leur emploi, principalement en raison de stress et d’épuisement professionnel.
- 45% des salarié·e·s chez les milléniaux et genZ pourraient envisager de démissionner si les valeurs de leur entreprise ne sont pas alignées avec leurs attentes en matière de durabilité et de responsabilité sociale.
- 80% des candidat·e·s préfèrent travailler pour une entreprise ayant une politique ESG bien définie.
- 68 % des salarié·e·s souhaitent être formés aux enjeux de la transition écologique sur leur lieu de travail.
TOUS CES CHIFFRES SONT ENCORE PLUS ÉLEVÉS POUR LES MILLENNIALS ET LA GÉNÉRATION Z.
Une autre enquête publiée début avril par l’Unédic, organisme qui gère le régime d’assurance-chômage nous révèle que huit travailleur·euse·s sur dix en France souhaitent que leur travail soit en adéquation avec le défi climatique.
Quels sont les risques ?
Le collectif Pour un Réveil écologique, qui rassemble des étudiant·e·s des grandes écoles telles que Sciences Po, Polytechnique, HEC, AgroParisTech…, appelle depuis 2018 les entreprises à répondre à l’urgence climatique et il paraît très probables que ces étudiant·e·s et leurs successeur·e·s boycottent les entreprises qui n’auraient pas opéré un virage vers la responsabilité sociale et environnementale.
Les risques auxquels s’exposent les entreprises qui n’en tiennent pas compte devraient être évidents: ignorer les attentes et les besoins de ses employé·e·s actuel·le·s et futur·e·s rendra votre entreprise moins attrayante et en finalité moins prospère, avec des employé·e·s moins engagé·e·s et moins productif·ve·s.
A contrario s’engager dans la voie de la responsabilité, en plus de satisfaire ses employé·e·s et de s’assurer leur motivation et leur loyauté, permet de construire une entreprise plus durable, plus responsable et plus rentable. C’est ce qu’on appelle une entreprise « nette positive », comme l’explique Paul Polman, qui prospère et crée de la valeur à long terme en donnant plus qu’elle ne prend.
comment faire?
» Ils veulent mettre leur temps et leurs compétences au service des entreprises qui ont un impact positif sur notre planète et nos sociétés, et qui offrent de l’espoir. Nombreux sont ceux qui constatent que leurs employeur·euse·s s’efforcent d’être « moins mauvais », mais ils voient aussi que ce n’est pas suffisant. «
Le rapport identifie trois moyens pour y arriver.
FIXER DES GRANDES AMBITIONS Les entreprises doivent faire preuve d’une plus grande ambition en ce qui concerne leurs valeurs, leurs engagements et leur impact Que ce soit au niveau des objectifs climatiques ou de la promotion de l’équité et de l’inclusion, le secteur privé n’agit toujours pas assez et assez vite. Une véritable ambition signifie fixer les objectifs dont le monde a besoin, et non pas ceux qui sont faciles à atteindre, et cela signifie aussi que les entreprises s’engagent dans la collaboration avec les entreprises de leur secteur, les gouvernements et les autres acteurs pour favoriser un changement systémique.
COMMUNIQUER Les équipes dirigeantes doivent communiquer davantage et mieux sur les mesures prises au niveau environnemental et social. Deux salarié·e·s sur trois déclarent vouloir que leur entreprise communique davantage sur les mesures qu’elle prend (67 % au Royaume-Uni, 66 % aux États-Unis). La communication en direction des salarié·e·s aura un impact fort sur leur sentiment d’appartenance, leur implication et leur productivité. A l’extérieur de l’entreprise la communication représente en regard des enjeux concurrentiels une arme redoutable en faveur de la marque employeur et la lutte pour les talents.
RESPONSABILISER Le baromètre montre que plus de la moitié des salarié·e·s britanniques et américains souhaitent jouer un rôle plus important pour aider leur entreprise à faire mieux (53% au Royaume-Uni, 60% aux États-Unis). Ce chiffre est encore plus élevé pour les employé·e·s des générations Z et Y (64 % au Royaume-Uni, 66 % aux États-Unis). C’est tout de même une très bonne nouvelle de réaliser que de nombreux employé·e·s souhaitent que leur entreprise relève le défi de la durabilité et qu’en plus il·elle·s souhaitent y contribuer.